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Ça décrit, ça
fait des descriptions minutieuses, pointilleuses, maniaques. Même
s'il y a un sens, on ne peut pas dire que l'on sache où ça
commence, à tel point ce qui nous est livré est déjà,
non seulement tout un récit, peut-être défini par
une, deux, trois lignes qui scient et composent un horizon, une marge
ou une trajectoire, mais sa masse interne, son abondance enchevêtrée
ou fourmillante. Ça surgit lentement, ça ne s'impose pas,
ou plutôt, ça s'impose calmement, avec une douceur et une
tranquillité qui aime raconter longuement, dans les détails,
dans les détours, dans les connexions parfois absurdes que l'image
de la réalité laisse percer, comme dans les récits
parfois sans tourments de Shéhérazade. Petites mousses
qui recèlent affectueusement des brins d'histoires, minuscules
récits faits au coin des ombres, du bout des lèvres, longues
brindilles s'étirant de la terre vers une histoire du ciel, jardins
copieux qui font terrasse au sein même des granits, chapelles
brûlant leur essence en nécropoles, mousses du dessin :
on imagine tout un univers ramassé dans ce qui a été
ou est encore son bonheur, sa légende dorée. Et malgré
l'ombre qui noircit la feuille, tout semble éclater au soleil
: voilà la forme et la matière, encre de Chine, qui fait
naître la couleur du noir et blanc, couleur bariolée, noir
et blanc denses, d'une pâte spéciale, un secret, de l'un
à l'autre un secret de soi. Ça surgit : du bas vers le
haut, comme il se doit, d'un bas qui semble massif vers une hauteur
qui dit et trace ses pointes de vibration, ses piques acérées,
ses rafales, ses plongées de falaise, qu'entoure la flottaison
du silence, un silence au plus haut point bavard. Hauteurs de crêtes
et de montagnes, lignes de faîtes d'où regarder ce qui
est là pour être ressenti et vu, voir, plonger, voler,
comme une grande ouverture, une suite musicale. Ça surgit : un
vaste corps de granit amassé au fond se déploie dense
de ses récits, de ses paroles, lentement remonte et combine inlassablement
son tricot de mots, ses bouts de ligne de vie, ses attentes, ses détentes,
des phrases faciles à retenir, d'autres plus complexes d'une
syntaxe pictographique qui plonge soudain dans les profondeurs et dans
les arcanes d'une connaissance qu'elle essaie, sans le vouloir, de nous
révéler. Ça décrit et ça surgit,
et même : ça surgit parce que ça décrit.
Et pourtant, tout reste dans une surface de détermination, où
rien n'est de plus ni de trop, les alignements - blocs de pierre ou
tombes, qui sait, mais qu'importe : ce fut sans doute une ville, ou
sa campagne, Toscane ou Provence, qu'importe, ce n'est à présent
que cet avenir-là - engloutis par la voracité féconde
des récits que chutes et saillies ne cessent d'entretenir. Qu'est-ce
qui surgit ? Des buissons changés en météores,
un monde grouillant qui, peut-être, redessine sa capacité
à vivre, dans la pulsion fébrile de comptines qui se meublent
en récits, un monde laborieux qui trafique et travaille pour
bâtir, comme dans une broderie, ses nouvelles densités.
Qu'est-ce que ça décrit ? Une géologie, des strates,
des couches, des tectoniques dans lesquelles s'enterre et s'endort le
vivant et en fait des sépulcres où danse et vibre pourtant
la consistance de ce battement de la parlote capable de transformer
toute géologie en généalogie, en reconnaissance
et maîtrise des lieux, en continuité où vivent les
histoires de la vie, en prolixité effusive et redondante, où
la poussière du temps se transforme en poudre de soleil. La densité
révèle alors ses grands espaces de clarté, son
hymne à la joie, une joie taciturne qui n'exclut pas la réflexion,
l'amour, l'échange, le contentement d'être là, dans
cette histoire du monde, une joie gamine et sautillante qui raconte
à l'ensemble les potins de chacun. Avec, au milieu, comme un
cur, un amoureux palmier.
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